Gloria Oyarzabal

1971, Espagne
Nominé·e - Prix Elysée 2023

Gloria Oyarzabal Lodge (Londres, 1971) est une artiste photographe espagnole titulaire d’une lience en beaux-arts (UCM). Elle a été programmatrice et co-fondatrice du cinéma indépendant Le Enana Marrón, Madrid (1999-2009), dédié au cinéma d’auteur, expérimental et alternatif.

Gloria Oyarzabal a vécu trois ans à Bamako (Mali), pour des des recherches sur la construction de l’idée de l’Afrique, les imaginaires et les stéréotypes ; les processus de colonisation/décolonisation, les nouvelles stratégies de colonisation par l’esprit (canons de beauté, concepts de modernité, religion…) et les féminismes africains.

Après son master en création et développement de projets photographiques à l’école de photographie Blankpaper (Madrid, 2014-15), son travail a été exposé au Fotofestiwal Lodz (Pologne), au Lagos Photo (Nigéria), à FORMAT (Royaume-Uni), au Guetxo Foto (Espagne), à l’Athens Photo (Grèce), au PHE PhotoEspaña (Espagne), au Musée de la photographie de Thessalonique (Grèce), à PHOTO IS:RAEL (Israël), au Bitume Festival Lecce (Italie), à l’Encontros da Imagem Braga (Portugal), à l’Odessa Photo Days (Ukraine), à l’Organ Vida (Croatie) et au Kaunas Foto (Lituanie)… entre autres.

En 2017, Gloria Oyarzabal est sélectionnée pour la résidence d’artiste Ranchito Matadero Nigéria/Afrique du Sud, qui se tient entre Madrid et Lagos, facilitant sa recherche sur le positionnement de la femme nigériane de nos jours, après la colonisation du concept de femme. En 2022, elle est l’artiste résidente à la Galerie21 (Hambourg) et au Gibellina Foto Festival, invitée par la Fondazione Orestiadi (Sicile, Italie).

Projet

La Blanche et la Noire (USUS FRUCTUS ABUSUS)

Comme point de départ, le tableau La Blanche et la Noire du peintre franco-suisse Félix Vallotton (1913, collection de la Fondation Hahnloser, Villa Flora à Winterthur, Suisse). Ce tableau, inspiré de l’Olympia de Manet et de l’Odalisque à l’esclave d’Ingres, représente l’amour saphique entre une sylphide et une femme noire. Contrairement à ses prédécesseurs, Vallotton se débarrasse de toute référence exotique. Un dialogue à deux voix émerge entre deux femmes qui réfléchissent sur le genre, la race et le colonialisme.

Partant d’une recréation aussi fidèle que possible à l’original, elles passent par différentes situations pour aboutir à une réflexion contemporaine dans laquelle elles apparaissent en lisant des livres comme Afrotopia de Felwine Sarr (co-créateur avec Benoît Savoy du rapport commandé par le président français Emmanuel Macron sur la question des objets pillés dans les musées français, notamment le Musée du Quai Branly à Paris) ou Loot : Britain and the Benin Bronzes de Barnaby Phillips.

La colonisation du concept de la femme : la responsabilité de la représentation hasardeuse de la femme noire dans l’histoire de l’art occidental, la position des femmes blanches et des femmes noires, le rapport du corps et de l’identité de la femme africaine avec le colon qui conduit à perpétuer les stéréotypes, l’exotisation, l’appropriation culturelle, la différence, etc… Odalisques éternelles : femmes esclaves qui servaient dans les grandes maisons, mal comprises grâce à l’école de peinture orientaliste, dans laquelle les odalisques et autres femmes esclaves étaient souvent des sujets d’intérêt pictural, renforçant encore une fois un imaginaire dénigrant. Dans la communauté musulmane, les odalisques étaient « simplement » des servantes laborieuses appartenant à des ménages puissants et riches. Les images érotiques de femmes dans un « Orient » géographiquement vague évoquaient une vie de luxe et d’indolence très éloignée de la société industrielle du XIXe siècle et des normes de représentation de la race et du sexe du XXIe siècle.

Le concept de musée est né il y a plus de 300 ans, lorsque les collections de certains monarques, rois ou empereurs ont été ouvertes au public, étant depuis lors des institutions qui donnent une identité et définissent une nation. Mais si l’origine de ces espaces est colonialiste, l’histoire, la production de connaissances, l’éthique, la mémoire collective et individuelles entrent en conflit. Un examen de la relation entre l’anthropologie et les collections muséales issues d’un passé colonial largement pilleur, de son historicité et de son historiographie, excusées derrière un souci de découverte – presque toujours dans un esprit « salvateur » –, conduit à la conclusion qu’elles renforcent depuis des décennies l’exotisme et la distinction, intrinsèquement liés aux discours suprématistes. Le musée en tant que créateur d’imaginaires, en tant qu’institution qui n’est pas et n’a jamais été un détenteur/exposant neutre ou bénéfique d’objets et d’artefacts. Ils sont un outil puissant pour inculquer le respect, changer les préjugés et réviser l’histoire. Ou dangereusement le contraire.

En droit romain, la propriété était définie comme la pleine jouissance absolue d’un objet ou d’une entité corporelle. L’USUS était le droit que le détenteur avait de faire usage de l’objet selon sa destination ou sa nature, le FRUCTUS était le droit d’en recevoir les fruits, l’ABUSUS était le droit de disposition basé sur le pouvoir de modifier, vendre ou détruire l’objet ou l’entité donnée. La propriété était perpétuelle, absolue et exclusive. Sur la base du concept de propriété, un dialogue à deux voix est proposé, dans lequel sont abordées les questions de spoliation, d’acquisition de connaissances, de race et de sexe.

Le retour de ce qui a été pillé et saccagé, tant en termes d’objets que d’identité, est-il une question urgente, universelle et réalisable pour tous ? Propriété, restitution, réparation, recontextualisation… qui a le pouvoir de donner, de rendre, d’arbitrer, de renommer ?

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